Crónica

L’enquete sur l´attentat


Qu’a fait Nisman dans l’affaire AMIA?

Suite à la découverte du corps sans vie d’Alberto Nisman à son appartement de Buenos Aires, le 18 janvier, les médias ont avancé les hypothèses dusuicide et de l’assassinat et ont parlé des accusations contre la Présidente maisils n’ont presque pas évoqué le travail du procureur durant l’enquête sur l’attentat contre la mutuelle juive AMIA qui avait fait 85 morts en 1994. Un avocat intelligent, doté d’une bonne mémoire, qui croyait que son travail n’était pas reconnu en Argentine comme à l’étranger, un homme convaincu qu’il pourrait résoudre cette affaire en se servant de l’information donnée par les services de renseignement; un enthousiaste intarissable et impulsif qui aimait parler avec la presse.Le chroniqueur Andrés Fidanza reconstruit l’histoire depuis 1997, lorsqueNismanrejointle service des procureurs chargésde l’affaire AMIA.

Par: Andrés Fidanza

Images: Guillermo Lizaruay

Le matin du 8 novembre 2005, le portable de Diana Malamud sonne avec insistance. Plus d’onze ans après l’attentat contre l’AMIA, l’épouse de l’une des 85 victimes du plus grand attentat terroriste de l’histoire argentinerépond sans réfléchir. C’est le procureur de l’affaire: Alberto Nisman.

—Nous devons nousvoir. C’est urgent.

Uneheure plus tard, ils se retrouvent au café Casa Blanca, face au Congrès. Malamud espère encore queNisman, nommé un an auparavant procureur spécial dans cette affaire, fera avancer l’enquête.

Nismandemande un Coca Cola light.

—Nous avons trouvé le responsable, Diana. Nous savons déjà qui a été l’homme qui a conduit et fait exploser la voiture.

Il lui montre rapidement deux photos d’un jeune homme aux traits arabes et un vieux portrait-robot de 1994 du chauffeur présumé de la voiture piégée.

—Il s’appelle Ibrahim Berroet il est membre de l’Hezbollah. Je suis allé aux États-Unis et les frères de Berrol’ont confirmé.

Nismanest convaincu queBerroappartenait à l’organisation islamique libanaise, considérée par l’Union Européenne et par les États-Unis comme un groupe terroriste précurseur des attentats suicides en Moyen Orient.

“Je l’ai cru à ce moment-là. Il était très enthousiaste et voulait le raconter à la presse le plus tôt possible”, se rappelle aujourd’hui Diana Malamud, qui est la représentantedeMemoria Activa,l’une des associations des famillesdes victimes de l’attentat.

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Cette piste du présumé chauffeur suicide de l’Hezbollah avait été donnée à Nisman en 2003 par le Chef du Contre-renseignement du Secrétariat d’Intelligence de l’Etat (SIDE),l’ingénieur Jaime Stiuso, à partir d’un rapport fourni par le Mossad en collaboration avec le FBI. Le document indiquait qu’un ressortissant libanais de l’HezbollahnomméBerro, Brru ouBorro, était rentré en Argentine depuis la Triple Frontière peu de temps avant l’attentat contrel’AMIA.

D’aprèsStiuso, au moins quatre ans avant l’attentat contre la mutuelle juive, l’Hezbollah était déjà présent dans la zone de la frontière avecle Paraguay et le Brésil, et avait même ouvert des locaux commerciaux comme un bureau de change et de tourisme. Toute cette information figure dans le dossierde l’AMIA, de longs textes écrits par le procureurNisman.

Début 2005, la CIA identifie deux frères de Berro, qui habitent à Detroit, État de Michigan, aux États-Unis : Hassan Berro, 42 ans, émigré depuis le Liban en 1985 et travaillantcomme mécanicien ;son frère Abbas, 27 ans, arrivé à Detroit en 1996 et travaillant comme mécanicien dentaire.

Durantplus de six mois et avec l’aide de son adjoint Marcelo Martínez Burgos, Nisman négocie avec le procureur de l’Unité de Contre-terrorisme du Service du Procureur de Michigan, Mme Bárbara Mc Quade, afin de pouvoir voyager à Detroit et participer à l’entretien avec les frèresBerro. Et ils parviennent àle faire.

Le 18 septembre, ils s’envolent secrètement vers cette destination. Ils assistent à l’interrogatoire des Berrosur leur frère que Bárbara Mc Quade réalise à l’Unité de Contre-terrorisme du Service du Procureur de Michigan. Dans leur témoignage, ils nient la possible intervention d’Ibrahim en tant queconducteur de la voiture piégée. “Ni ses frères ni sa mère ne pensent qu’il a pu l’être. Tous sont convaincus qu’il est mort au Liban”, déclarent lesBerrodevant le procureur.

Mais leur témoignage est en même temps ambivalent, surtout lorsque le frère cadet, Abbas, fait preuve d’une certaine compréhension vis-à-vis du Hezbollah. PourNisman, cette fenêtre de doute est plus que suffisante.

Deux mois après, Nismans’entretient avec Malamud au bar du Congrès pour lui donner personnellement la bonne nouvelle.Le lendemain, il convoqueles journalistes pour une conférence de presse au septième étage, face à la Place de Mai, dans le salon de réunions du Service du Procureur qui enquête de façon exclusive sur l’attentat contre l’AMIA.

—Ce Service considère comme prouvé qu’Ibrahim Berro est le nom de la personne qui a commis l’attentat suicide. Sesfrères, qui habitent à Detroit, nous l’ont ainsi confirmé —déclareNismanaux journalistes et photographes.

Moins de 24 heures après, Abbas Berros’entretient avec le journaliste Rolando Hanglin de radio Continental dans sa traditionnelle émission “RH Positivo”. Berrodéclare que Nismana inventé une histoire. “Je leur ai donné une photo, ils m’ont montré une autre, mais celle-là, je ne sais pas de qui elle était”, dit Abbas, et il précise que son frère Ibrahim est mort au sud du Liban à la suite d’une attaque israélienne. Et il conclut : “Nous sommes sûrs qu’Ibrahim n’a rien à voir avec l’attentat de Buenos Aires”.

Nisman argumente qu’Abbas Berro ment etmaintient qu’Ibrahim Berroest l’auteur de l’attentat suicide: c’est ainsi qu’il le fait figurer dans le dossier.

Pour Malamud, cette « salade de Berro », comme ironisaient certains journalistes  (berro est la traduction en espagnol de cresson), est la première grande déception à propos du travail de Nisman.

“Il se consacrait à voyager à l’étranger et à participer à des forums internationaux. Il a montré sa totale incapacité à enquêter sur ce dossier », affirme Malamud.

***

Le 18 juillet 1994, à 9h53, l’immeuble de l’AMIA explose. Presque 21 ans ont passé : durant ce temps les seuls faits avérés sont la bombe,  85 morts et 300 blessés. Tout le reste est interprétation, opérations et scepticisme. Le dossier présente tellement de détours et de ramifications qu’il devient parfois écrasant même pour ceux qui le connaissent bien.

Pour mieux le comprendre, il est nécessaire de rappeler ses principaux points de repère: après une première étape où la possible responsabilité d’un groupe d’iraniens ou de syriens dans l’attentat est au premier plan, l’enquête s’oriente vers un groupe de policiers de la province de Buenos Aires, en complicité avec le vendeur de voitures Carlos Telleldín.

Celle que l’on appelle la “piste syrienne” est oubliée: lePrésident Carlos Menem, dont la famille est originaire de la Syrie, pousse politiquement à l’éliminer. Devant choisir, les États-Unis et Israël préfèrent également accuser l’Iran. Israël est en négociations avec la Syrie pour les territoires occupés et les accuser de l’attentat contre la mutuelle juive peut compliquer le dialogue.

En 1997, Alberto Nismanrejoint l’enquête en tant que procureur : satâche consiste à accumuler les preuves contre les policiers avant le début du procès. Pour arriver à ce but, il tient compte des informations provenant de la Police Fédérale et d’un secteur de la SIDE.

Le procès débute le 24 septembre  2001. Depuis ce jour, il est devenu évident que des actions illégales ont été commisescomme le paiement fait àTelleldín pour qu’il accuse les policiers. A l’époque, Nismanse rapproche de Jaime Stiuso qui ne croit pas à la culpabilité des policierset se consacre à enquêter sur les pistes qui impliquent les iraniens ou les syriens ou les deux à la fois. Pour continuer sur cette ligne, Stiuso reçoit des rapportsde la CIA, du Mossad et d’autres agences internationales.

Les iraniens étaient en réalité dans le point de mire de laSIDE depuis l’attentat contre l’Ambassade d’Israël, le 17 mars 1992. Stiusoavait un agent infiltréparmi les dirigeants de l’Ambassade d’Iran en Argentine. Mais malgré ce travail d’espionnage, Stiuso ne peut éviter l’attentat contre l’AMIA ; ferme-t-il les yeux, fait-t-il preuve de négligence, s’agit-il d’une erreur de calcul, ou tout simplement, les iraniens ne sont-ils pas responsables? Des versions différentes abondent à ce sujet.

De toute façon, une fois l’attentat contre l’AMIA commis, Stiusoest plus que convaincu de la responsabilité de l’Iran.Cependant, il reste peu à peu relégué de son rôle d’auxiliaire de la justice dans l’affaire AMIA au profit d’un autre secteur de la SIDE. Ce secteur, nomméSala Patria, a l’appui politique de Carlos Menem et du juge Juan José Galeano. Et au fur et à mesure qu’il devient évident que le procès entre en crise, Nisman se rapproche davantage deStiuso. C’est la seule manière pour lui de se détacher d’un procès entaché et de se garantir un avenir. Au moins un.

En septembre 2004, lorsque le Tribunal Oral Fédéral 3 annule le procès, absout les accusés et ordonne une enquête sur le jugeGaleano, Nismanlie définitivement son sort àStiuso. Tous les deux proposent une autre hypothèse à la place de celle qui attribuait la responsabilité à la “Maudite Policede la Province de Buenos Aires”. D’après le duo, l’attentat contre l’AMIA a été commis par un groupe d’iraniens, avec l’appui de l’État d’Iran, qui est le grand ennemi des États-Unis au Moyen Orient.

Le président de l’époque,Néstor Kirchner, croit à cette version et leur demande d’approfondir cette piste au sein d’un service du procureur spécialisé. Le statu quo est parfait : il va de la géopolitique au gouvernement argentin, de là à la SIDE et au Service du Procureur, avec des escales dans la presse, les autorités juives et certains groupes de familles des victimes. 

Depuis lors, le dossier AMIA devient l’obsession quotidienne de Nisman. Et pourNisman, l’enquête est résolue d’avance : les coupables sont les iraniens. Il ne reste qu’à préciser certains détails pour valider cette théorie.

***

Quelques jours avant de déménager vers le service spécialisé chargé de résoudre l’attentat contre l’AMIA, Nismancroise dans les couloirs du tribunal de l’avenue Comodoro Pyson ancien chef du tribunal provincial de Morón: leprocureur Gerardo Pollicita.

—Je resterai dans l’histoire comme le procureur qui a résolu l’affaire AMIA—lui déclare-t-il.

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La première chose que Nismanfait lorsqu’il devient chef de l’UFI-AMIA, en septembre 2004, est de chercher un bureau éloigné du siège des tribunaux de l’avenue Comodoro Py. Il n’y avait pas là un espace physique suffisant pour abriter les dossiers, les ordinateurs et le personnel d’un service spécialisé dans une affaire aussi compliquée que celle de l’AMIA. Par ailleurs, aux yeux de la famille judiciaire,Nismanétait considéré comme un traître : il avait été le seul procureur survivant à un procès entaché d’opérations, de fausses pistes et de paiements illégaux.

Quelques jours avant, le Ministère public de la Nationavait décidé de créer une Unité spéciale du Procureur chargée d’enquêter sur les responsables de l’attentat commis le 18 juillet 1994. Dans la résolution 84/04 de quatre pagesfigurait déjà le nom du titulaire et de l’adjointde l’UFI-AMIA: “MM Alberto Nismanet Marcelo Martínez Burgos”.

Dix ans après l’attentat, le dossier de l’enquête comportait100 mille pages et plus de 1500 chemises à dossiers d’écoutes téléphoniques. Le procès, qui avait débuté en septembre 2001et pris finen 2004par le prononcé d’une sentence démolissant tout le travail accomplien raison de nombreuses irrégularités commises dans cette affaire, avait été déclaré nul par le Tribunal Oral Fédéral 3.

Aucune de ces 50 millions de paroles accumulées sur des pages et des pages n’avaitservi à quelque chose.

La sentence du Tribunal mettait en doute l’hypothèse de l’existence d’une camionnetteTrafic utilisée comme voiture piégée. Les juges Gerardo Larrambebere, Miguel Pons et Guillermo Gordoavaient décidé d’absoudre les personnes mises en examen, aussi bien les policiers de la province de Buenos Aires que le vendeur de voitures Carlos Telleldín qui aurait remis la supposée camionnette.

Avec l’aide de Martínez Burgos, qui venait du service du procureur de Saavedra et qui avait un profil plus technique que Nisman, le premier objectif de l’UFI-AMIA est de passer en revue les 4.800 pages de la sentence du Tribunal. Il fallait identifier la piste qui tenait encore, après une sentence aussi catégorique.

Le Tribunal avait également ordonné d’ouvrir une enquête sur la responsabilité des deux procureurs avec lesquels Nisman avait travaillé de 1997 à 2004, Eamon Mullen et José Barbaccia, ainsi quedu juge Juan José Galeano(déjà destitué et discrédité).

D’après la sentence du Tribunal, Galeanoavait ordonné qu’un secteur de la SIDE paye 400 mille dollars àTelleldínpour qu’il accuse un groupe de policiers de la province de Buenos Aires d’avoir commis l’attentat. Une affaire qui aurait des complices dans le Gouvernement, la Justice, le Secrétariat au Renseignement et la Police Fédérale. C’est la raison pour laquelle le Tribunal avait ordonné l’ouverture d’un procès pour entrave à l’enquête et détournement.

Cependant, la priorité pourNismanest de recueillir des preuves en vue d’accuser les iraniens: il est convaincu qu’ils sont les auteurs de l’attentat. L’entrave à l’enquête signalée par le Tribunal Oral Fédéral lui semble secondaire et incommode : lui-même est un protagoniste de l’enquête et du procès. Et même s’il réussit à ne pas figurer sur la liste du Tribunal, il est embarrassé de devoir accuser ses anciens collègues. D’une certaine manière, en les accusant il se signale lui-même comme également responsable.

***

Un an auparavant, en avril 2003, assis à un mètre de Nisman, leprocureur Eamon Mullen écoute la décision du Tribunal Oral de l’écarter définitivement du dossier. C’est le moisd’avril 2003. Mullen se lève et marche en silence vers le couloir de la salle d’audiences de l’avenue Comodoro Py. Les juges Larrambebere, Miguel Pons et Guillermo Gordoviennent de l’écarter du dossier par « manque d’impartialité », ainsi que son adjoint José Barbaccia, qui est absent.En avril 2004, le Tribunal conclut qu’ils savaient, et qui l’ont occulté, queTelleldín, accusé en tant que “participant nécessaire”, avait touché de façon illégale la somme de 400 milledollars.

Le procès n’est pas terminé mais personne n’a des attentes quant à son issue.La mise à l’écart de Mullen et deBarbacciaporte un coup à l’enquête. Nismana dix jours pour opposer une objection à la décision d’écarter ses anciens collègues. Mais au lieu de le faire, il présente un stratégique arrêt maladie et Mullen etBarbacciarestent définitivement en dehors du procès.C’est son modeste coup d’État.

En 1997, lorsqueNismanavait rejoint l’enquête que réalisent Mullen etBarbaccia, l’hypothèse centrale de l’attentat était déjà consolidée, aussi bien pour le jugeGaleanoque pour les deux procureurs. “La camionnette Traffic utilisée pour commettre l’attentat contre le siège de l’A.M.I.A. a été remise au personnel policier par le mis en examen Carlos Alberto Telleldín”, avait écrit le jugeGaleano en octobre 1995. Mais ce qui est certain c’est que depuis son arrivée comme troisième procureur de l’enquête, Nismanavaitaccompagné chacune des décisions de Mullen etBarbaccia.

Le mardi 13 juillet 1999, après presque cinq ans d’instructions, et à la demande deGaleano, Mullen, Barbaccia etNismanavaient signé l’ouverture du procès. Ils avaient mis en examenTelleldínet quatre policiers en tant que participants à l’attentat. Comme ils le faisaient habituellement dans chaque document qu’ils signaient conjointement, ils l’avaient fait avec un stylo noir et dans l’ordre suivant : Barbacciaà droite, Mullen à gauche, etNismanau centre, quelques centimètres plus bas. Nismanavait ainsi confirmé son approbation au travail fait par tous les trois.

En avril 2003, cette  association se termine par un divorce scandaleux. “Dites- lui que si je le croise je lui casse la gueule”, prévenait Mullen à tous les procureurs et secrétaires du cinquième étage de l’avenue Comodoro Py. Mais lorsqu’une fois il le croise en sortant du bureau du jugeNorbertoOyarbide, il n’ose pas concrétiser sa menace.

Tout au long de ses 4800 pages, le Tribunal signale que la façon d’agir deGaleanoa été partielle et que cela a eu une influence sur le procès, sur la défense dans le procès et sur la présomption d’innocence. C’est pourquoi il absout les mis en examen et déclare la nullité à partir durecueil des preuves, en 1995. 

Nisman ne fait pas appel de la décision d’absoudre les policiers mis en examen, même s’il avait dirigé l’enquête et les conclusions qui les accusaient. Il se limite à présenter un écrit demandant de les condamner pour extorsions et délits ordinaires, prouvés lors du procès oral. Nismanavait dirigé l’accusation contre les policiers pour leur rôle dans l’attentat mais il n’a pas fait appel lorsque le Tribunal les absout. Plus que de la méfiance vis-à-vis- de son propre travail préalable, cette décision de Nismanrévèle un désir de rester partie prenante au procès. Et il y est parvenu.

***

Un mois après son installation dans le Service, Nismanlicencie la moitié des employés, et tout particulièrement les avocats qui travaillaient dans le volet de l’instruction et qui n’avaient aucune expérience dans un dossier concernant un attentat international  « Ils disaient cédulaterroristeau lieu de cellule terroriste » [cédula= document d’identité],se souvient l’un des employés. Nisman embauche des spécialistes en sciences orientales et en politique internationale et trois secrétaires personnelles.

Au bureau, sur la moquette, il y avait des milliersde photocopies et des dossiers. Sur un mur,les photosde 22 iraniens, avec les postes ou les rôles qu’ils jouaient au sein du gouvernement iranien au moment de l’attentat, plus leurs relations et leurs possibles motivations. MaisNisman n’avait pas besoin de revoir cette information : il avait tous les détails dans sa tête.

Un matin, Nismanse présente avec Jaime Stiuso, lechef de laSIDE. Depuis le matin même de l’attentat Stiusoavait participé à l’enquête mais un an et demi plus tard il avait été écarté et remplacé par le groupe d’agents d’intelligence appelé Sala Patria. Contrairement à eux, Stiuso ne croit pas à la culpabilité de Telleldínet des policiers de la province de Buenos Aires, accusés d’avoir participé à l’attentat.

Lelook n’impressionne pas : jean, polo et chaussures, plutôt usés. Il donne un bref cours de géopolitique, mentionne sans trop s’attarder la possible responsabilité de l’Iran dans l’attentat. Aucun employé ne sait qui il est, mais à partir de ce jour de 2005, Stiusoreprend un rôle central dans ce dossier.

Tandis queNisman s’occupe d’élaborer un récit politique convaincant sur le déroulement de l’attentat contre l’AMIA, son collègue Martínez Burgos essaye de l’améliorer et de lui donner un caractère judiciaire. Burgos étudie les vieilles sentences de la justice espagnole et allemande qui donnent une certaine expertise aux rapports des services de renseignement.

Il est probable que ces antécédents servaient à donner valeur de preuve aux informations reçues de la CIA, du FBI et du Mossad. Sur les traces, les empreintes et les expertises de l’attentat, sûrement, il n’y avait pas grand-chose à faire. Plus de dix ans après l’attentat,  il était difficile de trouver de nouvelles pistes au milieu des décombres de l’immeuble du 633, rue Pasteur.

Le Tribunal avait démoli l’enquête de la connexion locale, entachée de fausses pistes et de boucs émissaires.D’après sa sentence, le dossier de l’AMIA avait servi à régler des comptes entre des groupes de la SIDE (Stiuso vs Sala Patria), à résoudre des questions de leadershipau sein du Parti Justicialiste (Carlos Menem contre Eduardo Duhalde), et à mettre en rivalité les forces de Sécurité (Police Fédérale vs Police de la province de Buenos Aires).

Les accusations contre l’Iran permettaientde dépasser ces frictions locales et de garantir en même temps un important courant d’affinités entre la présidence deNéstor Kirchner et celle de George Bush. Un point de sympathie important, parmi de nombreuses zones de désaccord, comme le refusde Kirchner d’intégrer l’Argentine dans la Zone de Libre-échange des Amériques.

Ce climat de soutien politique au travail mené parNismanprend définitivement fin début  2013, lorsque le Mémorandum d’entente entre l’Argentine et l’Iran est signé, sous l’impulsion de la Présidente Cristina Kirchner. PourNisman, cette tentative d’interroger les suspects iraniens cache l’objectif de détacher l’Iran du dossier AMIA en vue de rétablir des relations diplomatiques et de pouvoir échanger pétrole contre grains.

—Stiuso est la personne qui en savait le plus sur le dossier AMIA. Néstor Kirchner lorsqu’il m’a nommé à la tête de l’Unité m’a dit “c’est elle la personne avec laquelle vous allez travailler ” —déclareNismandans un entretien télévisé de la chaîne TN, quelques jours avant sa mort.

Ainsi, le travail deNismanet de ses collaborateurs consistait à réviser les rapports des services de renseignement, à leur fournir un contexte historique et à les accompagner d’un travail concret de vérifications: demandes d’information aux services téléphoniques, aux banques et aux juges étrangers.

Nisman, pour sa part, transmet à l’avance à l’Ambassade des États-Unis la plupart des décisions judiciaires qu’il envisage de prendre. Les mails etles notes filtrés parwikileaksetpubliés dans les livresArgenleakset Politileaks du journaliste Santiago O'Donnell, montrent commentNismanapportait des brouillons de résolutions à l’Ambassade pour correction et approbation, et comment il s’excusait lorsqu’il ne prévenait pas à l’avance de la prise d’une quelconque mesure judiciaire.

“Des fonctionnaires du Service légal de l’Ambassade ont recommandé àNismande se concentrer sur ceux qui ont commis l’attentat et non pas sur la possible mauvaise conduite de la première enquête. Autrement, les familles des victimes pourraient être perturbées et l’attention serait détournée de la recherche des vrais coupables ”, déclarait l’Ambassadeur Earl Anthony Wayne dans un mail adressé à sa hiérarchie du Département d’État, à Washington, en mai 2008.

***

Un samedi soir, début 2006, le portable du procureur adjoint Marcelo Martínez Burgos sonne trois fois. C’estNisman.

—J’ai su que Righi veut nous mettre à la porte—lui dit-il.

Le procureurEsteban Righi avait été l’avocat et ami d’Hugo Anzorreguy, l’ancien chef de la SIDE ménémiste, qui serait accusé dans le dossier d’entrave à l’enquête.

—Allons chez un notaire et laissons par écrit tout ce que nous avons fait.Nousconvoqueronsensuite une conférence de presse.

Nisman est convaincu que suivant les pistes données parStiusoil arrivera à résoudre cette affaire. Et il croit que toute cette précieuse information peut se perdre s’il lui arrive quelque chose, à lui ou àMartínez Burgos.

En même temps qu’il resserre les liens avecStiuso, Nismandevient paranoïaque et méfiant. Toutes les semaines il ordonne de faire des recherches à l’étage de son service pour détecter des micros.

Il fait en sorte qu’il y ait une rotation des trois agents de sécurité qui montent la garde entre l’ascenseur et l’entrée. Il ordonne même une alternance entre les forces de sécurité : d’abord la préfecture, ensuite la gendarmerie et la police fédérale.

Il est convaincu qu’il y a des actions en cours contre lui :il se méfie de l’ancien procureur Eamon Mullen et des secteurs relégués de la SIDE à partir de la promotion de Stiuso.

Les dossiers de laSIDE portant sur cette affaire sont rangés dans une petite salle protégée par des grilles. Lui seul possède les deux jeux de clés.

Craignant d’être suivi, il préfère parfois ne pas sortir déjeuner : il mange seul dans son bureauLe menu est toujours le même : blanc de poulet avec des tomates et de l’eau plate.

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Une fois renforcée sa place au sein de l’UFI-AMIA, avecStiuso comme principale source d’information et d’influence, Nismanse consacre pleinement à creuser la piste iranienne. Il n’a plus l’obligation d’appuyer les accusations contre les policiers et instruit l’affaire parallèle d’entrave à l’enquête mais sans trop d’intérêt. Début 2006, il est déterminé à aller à la chasse à l’Iran.

Il travaille avecMartínez Burgos à améliorer et donner un caractère judiciaire à une demande de mandat d’arrêt international à transmettre àInterpol car les iraniens n’acceptent pas de se présenter devant les tribunaux argentins. Son procureur adjoint est plus conservateur et détailliste, jusqu’aux aspects les plus formels de la rédaction d’un document. Nismanpréfère avancer, faire et accuser. Cette différence est à l’origine de discussions quotidiennes entre eux.

Nisman est convaincu que les responsables de l’attentat sont au moins onze iraniens mais, à la suggestion de Martínez Burgos, il réduit cette liste à neuf anciens fonctionnaires iraniens, parmi lesquels l’ancien Président d’Iran Ali Rafsandjani.

Le document, écrit parNisman, Martínez Burgos et le troisième du service,Hernán Longo, a 801 pages : une grande partie porte sur le contexte historique ou géopolitique.

Par rapport aux présentations faites les années précédentes, Nismanajoute une nouveauté. Il insiste sur le fait que l’attentat a été commis avec l’appui de l’État iranien: pour lui, il n’est pas l’œuvre d’un groupe inorganisé.

Dans un paragraphe de la commission rogatoire, il est dit que : “le choix de commettre cet attentat a été fait au cours d’une réunion de haute sécurité de l’État, sous la présidence de Rafsandjani, le samedi 14 août 1993. Lors de cette réunion, étaient présentsles professionnels militaires et desmembres de la haute sécurité ».

À l’appui de cette hypothèse, Nisman considère comme crédibles les six témoignages de dissidents et d’opposants au régime deTéhéran qui font état d’une réunionà Pashad en août 1993 où l’attentat aurait été décidé : c’est là le cœur de l’accusation.

Une malicieuse comparaisonqui circule dans les services de l’avenue Comodoro Py–surtout parmi ceux qui n’apprécient pasNisman–l’assimile à donner du crédit au témoignage de six exilés cubains de Miami qui feraient état d’une réunion entre Fidel Castro etRaúl Castro en vue de concrétiser un attentat international.

« C’est une preuve solide dans la mesure où la réalisation de cette réunion a été évoquée par différentes personnes qui ont occupé des postes importants dans le gouvernement, y compris pendant la période révolutionnaire”, justifie Nisman lors d’un entretien.

Les procureurs considèrent les déclarations des dissidents comme une preuve fondamentale mais ils ajoutent que dans les mois précédant l’attentat, on a constaté  une plus grande quantité d’entrées et de sorties de courriers diplomatiques et que l’Ambassadeur iranien s’était absenté du pays au moment où d’autres représentants suspects arrivaient.

“Notre pays a été infiltré par les services secrets iraniens au milieu des années 1980. Ils ont commencé à créer un vaste réseau d’espionnagequi est devenu un véritable centre d’intelligence grâce à l’ambassade et au centre culturel iranien à Buenos Aires », affirme le long texte.

La faiblesse de l’accusation réside dans le fait qu’il n’y pas une seule preuve liant directement la camionnette piégée à une personne ou à un domicile, qu’il n’y a aucune trace de l’arrivée du présumé auteur de l’attentat suicide en Argentine ni des maisons qui auraient pu être utilisées par ceux qui ont accompagné dans plusieurs véhicules cette camionnette dans son trajet vers la rue Pasteur. Les détails décisifs manquent dans le document.

Dans un autre passage, l’accusation souligne le travail deStiuso, qui a joué le rôle de pionnier en attribuant la responsabilité de l’attentat à l’Hezbollah. “Le Secrétariat au Renseignement possédait la même information depuis 1995. Et ceci a été révélé par l’ingénieur Antonio Stiuso”, loue-t-elle.

Ce texte est l’héritage principal ou presque unique de Nismandans ce dossier. Selon la personne qui l’évalue, c’est beaucoup ou peu de chose. L’avocat deMemoria Activa, Pablo Jacoby, quia participé dès le débuten tant que plaignant, fait un bilan de neutre à positif. “Nismana organisé et structuré l’affaire depuis l’étape deGaleano. Il a formé une bonne équipe et il est même arrivé à demander l’audition des iraniens.D’autres questions, comme la camionnette Trafic sont restés en suspens”, déclareJacoby presque deux mois après le décès de Nisman.

***

En février 2007, Nisman, Martínez Burgos et Longo se rendentau siège d’Interpol à Lyon pour défendre leurs accusations contre les neuf anciens fonctionnaires iraniens parmi lesquels l’ancien président Ali Rafsandjani.

Les iraniens devaient venir aussi avec leurs avocats et, par la suite, le Comité exécutif d’Interpol devait voter si la demande de mandat d’arrêt international faite par les procureurs argentins contre les iraniens était acceptée.Pour se sentir plus en sécurité Nismanvoulait queStiusol’accompagne à Lyon mais il finit par accepter de s’y rendre avec ses collègues procureurs. Les trois partagent la chambre de l’hôtel, déjeunent ensemble, présumanttoujours être espionnés.

Un jour après leur arrivée, le chef d’Interpol, Ronald Noble, les reçoit et leur ditde façon informelle qu’il lui semblait difficile d’approuver la demande de mandat d’arrêt international venant d’une affaire aussi entachée que celle de l’AMIA.

“On est en train de juger en Argentine ceux qui sont accusés de corruption dans l’enquête”, répliqueNisman. Il parle du dossier contre le juge Galeanoet ses anciens collègues, les procureurs Mullen etBarbaccia, pour entrave à l’enquête. Une enquête à laquelle même lui, par moments, rechignait àdonner une impulsion. MaisNisman croit que Ronald Noble ne va pas examiner dans le détail cette affaire et que son argument peut être convaincant.

Le face à face avec les iraniens a lieu le 22 février.Les représentants iraniens sont dans un coin de la salle,au centre, les sept membres du Bureau Légal d’Interpol et, à l’autre bout, les cinq Argentins : les deuxprocureurs, le Secrétaire Longo, un membre du Ministère des Relations Extérieures et un délégué de la police.

Les iraniens parlent anglais, français, espagnol, farsi et allemand,Nismanparle à peine un peu d’anglais etMartínez Burgos un peu le français.

“Notre dossier les a étonnés.L’existence de nouvelles preuves contre les accusés iraniens et la nomination d’un nouveau juge chargé de l’affaire les a surpris. Ils pensaient que nous étions toujours sur les mêmes choses et avec les mêmes arguments qu’à l’époque du juge Galeano”, déclarent-ils à l’issue de la réunion.

En novembre  2007, le résultat est favorable à la demande de Nisman: 78 voix pour, 14 délégations contre et 26 abstentions.

Interpol lance ainsi une alerte rouge (c’est-à-dire, de priorité maximale) pour l’arrestation de cinq iraniens, demandée par le procureur Alberto Nisman: l’ancien ministre de l’Information et Intelligence, AliFallahjan; l’ancien commandant des Gardiens de la Révolution, MohsenRezai; l’ancien commandant de la force Al Quds, Ahmad Vahidi; l’ancien attaché culturel à Buenos Aires, Mohsen Rabbani; et l’ancien troisième secrétaire de l’Ambassade à Buenos Aires, Ahmad Asghari. L’organisation maintient en vigueur aussi la demande d’arrestation d’Imad Moughneieh, chef d’opérations de l’Hezbollah.

C’est le dernier grand apport de Nismanau dossier. Dorénavant, il ne fait qu’ajouter une série de rapports périphériques, comme un document de 500 pages présenté en mai 2013:  dans ce rapport, le procureur accuse l’Iran d’avoir constitué un réseau terroriste en Amérique du Sud afin d’exporter la révolution islamique.

Peu de jours après le retour de Lyon et du succès auprès d’Interpol, Martínez Burgos,impliqué dans un dossier de trafic d’influence présumé avec un avocat d’iraniens, est contraint à la démission. L’adjoint de Nismanpart mais en soupçonnant d’avoir été victime d’un piège tendu par le propre Nisman pour l’éloigner. À la même époque, Hernán Longo quitte également le service.

Nisman concentre ainsi tout le pouvoir et l’information de l’UFI-AMIA. A l’exception de l’appui silencieux de Stiuso, il reste seul.

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Nismanécrivait comme il parlait, et parlait comme il vivait : de façon épuisante. Et s’il cherchait à séduire, à convaincre ou à se disculper, il devenait irréfléchi, au point qu’il étaitvraiment difficile de communiquer avec lui.

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“C’était comme un cheval de manège. Il ne s’arrêtait jamais. Il avait une capacité de travail impressionnante et il était difficile parfois de suivre le rythme de ses propos”, déclare le procureur général de la Chambre Nationale de Cassation Pénale, RaúlPlee, assis dans le fauteuil de son bureau de l’avenue Comodoro Py, qui l’a connu en 1989 au sein des tribunaux de Morón.

En 2011, peu de temps avant l’heure où il devait intervenir, Nismanannule sa participation à une rencontre organisée par les familles des victimes au siège d’Hebraica. Et il le fait avec son éloquence habituelle : “Encore une fois toutes mes excuses. Je suis en colère et je suis réduit à l’impuissance. J’ai tardé le plus possible pour voir si je pouvais assister, mais je parle même plus lentement car je suis comme sonné. C’est un avertissement du corps que je dois écouter. Je vous jure que je le regrette. S’il y avait quelqu’un à qui je ne voulais pas manquer c’était bien à vous, mais le thème me dépasse. Je vousprie de me comprendre.Mercipourtout et je vais me remettre. Vous pourrez continuer à compter sur moi comme toujours”, explique-t-il dans un message texto.

Les familles des victimes “comptaient” surNisman. Si elles demandaient une réunion, le procureur les recevait dans la longue table du salon du service.Il faisait face aux reproches et donnait ensuite des explications, même si elles n’étaient pas toujours satisfaisantes. Mais au moins il essayait.

En 2012, lors d’une réunion, il est interpellé par une femme : Dis-moi où sont les avancées réalisées! Tu te rendscompte que tu nefaisrien? A côté de la femme, l’avocat plaignant Sergio Bursteinet deux familles acquiescent en silence.

Nisman se lève du fauteuil avec assurance. Les cris et les manières de la femme ne le touchent pas.

—Bien sûr qu’il y a des avancées —répond Nisman et il ouvre la porte en criant—. Martín, apporte s’il te plaît le dossier que je t’ai donné hier!

La mise en question la plus dure et la plus concrète faite à Nisman par l’associationMemoria Activaest son peu d’intérêt pour faire avancer le dossier d’entrave à l’enquête sur l’attentat.

En 2009, après de lents progrès et l’intervention de deux autres magistrats, le juge fédéral Ariel Lijo prend la décision, saluée par les familles des victimes, de mettre en accusation l’ancien Président Carlos Saúl Menem, l’ancien juge Juan José Galeano, le chef de la SIDE ménémiste Hugo Anzorreguyet l’ancien commissaire Jorge “Fino” Palacios, parmi d’autres.

Toutefois, trois ans après, le propre jugeLijo prononce un non-lieu en faveur de l’ancien Ministre de l’Intérieur Carlos Corach, de quatre anciens Secrétaires de l’ancien juge Juan José Galeanoet de trois anciens policiers.

Nismanavait promis aux familles et avocats deMemoria Activa que s’ils faisaient appel du non-lieu en faveur de Corachet des secrétaires de Galeano, il les accompagnerait dans cette démarche. Une présentation conjointe deMemoria Activaet du procureur aurait donné plus de force à l’appel.

Mais les jours passent et Nisman ne respecte pas l’accord. Devant l’insistance des familles de Memoria Activa, il essaye par téléphone d’esquiver: “La notification n’arrive pas car le procureur naturel (celui chargé de l’affaire) c’est en l’occurrence le Procureur auprès de la Chambre Fédérale (à la charge de GermánMoldes), mais je suis tout de même au courant. J’ai essayé plusieurs fois et je n’ai pas pu le joindre, mais j’ai déjà envoyé mon adjoint au service du Procureur afin qu’ils respectent ce dont nous avons parlé en temps utile”, répond Nisman. L’argument est trompeur car Nisman pouvait faire appel sans besoin de déplacer le procureur dit naturel.

La date fixée passe et Nismanne respecte toujours pas sa promesse. Le groupe de familles fait appel dans une solitude totale: malgré l’absence d’appui de la part du procureur, ils obtiennent, en juillet 2013, que la Chambre Fédérale rejette la décision de Lijo. De cette manière, les cinq fonctionnaires et les trois policiers restent mis en examen.

Après le non-respect de son engagement, Nisman reçoit les représentantes deMemoria Activa, Diana Malamud et Adriana Reisfed, accompagnées de leurs avocats. Il sait parfaitement qu’il devra supporter une bordée de reproches.

Dans le salon de réunions du service, avec le drapeau argentin dans un coin, il écoute les critiques pour son inaction face au non-lieu de Corach et pour d’autres situations similaires de l’affaire d’entrave à l’enquête où il est également accusé de négligence et de manque d’intérêt. “Je ne pouvais pas intervenir sans l’autorisation de Moldes, car il était le procureur naturel. Mais j’interprète en outre qu’il y a ici des actions visant à me porter préjudice de façon délibérée. Je vous prie encore une fois de m’excuser”, répond-il.

“Il était très intelligent et doté de bonne mémoire, mais il n’a pas avancé dans les dossiers et restera dans l’histoire comme le procureur qui a oublié les victimes”, déclare Cristina Caamaño, procureur national dans les affaires criminelles. 

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Alberto Nismanmet le lien de la note dans l’objet du mail. Il n’écrit rien et l’envoie ainsi à un ami, ou à quelqu’un qui ressemble à un ami dans les services de l’avenue Comodoro Py. C’est le mois de mars 2012. Cela fait sept ans que sa routine était passée des tribunaux de Retiro au service du procureur chargé exclusivement de l’attentat contre l’AMIA, situé au septième étage face à la Place de Mai. Son ami, également procureur et collèguedurant plusieurs mois, clique sur le mail et accède à l’Agence Juive de Nouvelles. Il regarde le titre: “Députés américains font l’éloge de l’enquête sur l’attentat contre l’AMIA”. Il lit rapidement que la députée américaine de Floride, Ileana Ros Lehtinen,avait présenté un projet de résolution pour appuyer la Loi Antiterroriste argentineet la principale piste suivie par Nismandans l’affaire AMIA, la même qu’on suivait avec quelques nuances depuis 1994: attribuer la responsabilité au gouvernement d’Iran et au groupe armé Hezbollah.

Le mail n’étonne pas le procureur. Nismanavait l’habitude de lui envoyer des notes qui parlent de lui: en particulier des éloges des médias internationaux. Il disait qu’en Argentine, il n’avait pas la reconnaissance qu’il méritait.

À cette même époque, le gouvernement de Cristina Kirchner avait déjà commencé à négocier le Mémorandum d’entente avec l’Iran. Nismanétait au courant et le subissait presque sans élever la voix.

En janvier 2013, la Présidente annonce qu’elle est arrivée à un accord avec le gouvernement iranien. Le Mémorandum inclut la création d’une Commission de Vérité, composée de juristes internationaux proposés par chaque pays en vue d’auditionner à Téhéran les ressortissants iraniens sur lesquels pèse un mandat d’arrêt d’Interpol.

Pour Cristina Kirchner, cet accord est un progrèsdans ce dossier qui n’avance pas depuis des années. Mais,NismancommeStiusose méfient des véritables intentions de la Présidente, qui n’a jamais cruà la piste iranienne.

Ce possible retournement de l’enquête met en crise le système Nisman, en commençant par le consensus qu’il avait su gagner tout au long de presque une décennie. PourNisman, cette décision présidentielle vient porter le discrédit sur les milliers denotes qu’il a signéesoù il accuse directement le gouvernement d’Iran pourl’attentat contrel’AMIA.

La certitude de Nismanavait été nourriedes rapports provenant deStiuso. Mais, c’était une véritable conviction et la signature du Mémorandum implique une mise en question politique de cette certitude.

La négociation du gouvernement avec l’Iran revient à rompre avec le statu quo et éveille des soupçons sur le travailde Nisman. Un travail qui était lié à sa soif de reconnaissance, à son désir de prestige international, à son hédonisme et à son rêve d’entrer dans l’histoire comme le procureur qui allait résoudre le dossier AMIA. 

*Traduction non officielle/ Traducción no oficial.

Traduit par le département de traductions de l'Ambassade Argentine en France/ Traducido por el departamento de traducciones de la Embajada Argentina en Francia